CHAPITRE XII - La voie ferrée

 

 

L a journée était très chaude. Les cinq avaient déjeuné avant de partir; comme le disait Mme Girard, le repas serait plus facile à emporter dans l'estomac que dans un sac!

Tous étaient lourdement chargés… même Dagobert. Claude disait qu'il devait prendre part aux corvées et elle lui avait attaché sur le dos un sac de ses biscuits préférés.

« Voilà, dit-elle. Je n'aime pas les fainéants. Ne renifle pas les biscuits tout le temps, Dagobert… Tune peux pas marcher avec la tête tournée. Tu devrais vraiment connaître leur odeur depuis le temps que tu en manges! »

Ils cherchèrent longtemps la voie ferrée dissimulée dans la bruyère. Annie la découvrit en trébuchant dessus.

« Oh! s'écria-t-elle, la voilà! J'ai bien failli tomber.

— Parfait », dit François en s'engageant entre les deux rails rouillés.

A certains endroits, ils s'interrompaient. Ailleurs la bruyère les recouvrait et les enfants avaient quelque peine à les retrouver.

Il faisait très chaud et les havresacs pesaient très lourd. Le paquet de Dagobert glissa sous son ventre. C'était très gênant. Il s'assit et s'efforça d'ouvrir le sac avec ses dents. Claude l'aperçut, posa son propre fardeau et alla à son secours.

«  Si tu ne courais pas après les lapins, ça n'arriverait pas, dit-elle. Voilà, c'est arrangé, Dago. Marche tranquillement et tout ira bien. »

Ils suivaient toujours les rails qui, quelquefois, décrivaient une courbe autour d'un rocher. Bientôt le sol devint sablonneux et les touffes de bruyère s'espacèrent. Il était plus facile de voir la voie ferrée, mais çà et là le sable la recouvrait.

« Il faut absolument que je me repose, dit Annie en s'asseyant. J'ai envie de haleter et de laisser pendre ma langue comme Dagobert.

— Je me demande jusqu'où vont ces rails, dit Mick. Mais je crois que nous devons approcher de la carrière. »

Ils s'allongèrent sur la bruyère; peu à peu le sommeil les gagnait. François bâilla et se redressa.

« Il ne faut pas rester là, dit-il. Si nous nous endormons, au réveil nos havresacs nous paraîtront encore plus lourds. Debout, paresseux! »

Ils se levèrent. Le paquet de Dagobert avait de nouveau glissé sous son ventre et Claude le remit en place. Dagobert avait chaud et soif; pour se débarrasser des biscuits, il les aurait volontiers croqués jusqu'au dernier.

Bientôt la bruyère et les ajoncs disparurent complètement. Il n'y eut plus que du sable que le vent dispersait; les cinq furent obligés de fermer les yeux.

« Dites donc! Les rails finissent ici, dit François en se baissant. Regardez, ils ont été arrachés; la locomotive ne pouvait pas aller plus loin.

— Ils reprennent peut-être à quelque distance », dit Michel, et il fit une rapide exploration. Mais il ne trouva rien et revint vers ses amis.

«  C'est drôle, observa-t-il. Nous ne sommes pas encore à la carrière. Je croyais que la voie ferrée nous y mènerait. Où est-elle donc? Il fallait bien pourtant que la locomotive et les wagons y arrivent. Pourquoi les rails s'interrompent-ils si brusquement?

— Oui, la carrière devrait être tout près, approuva François. Cherchons-la d'abord. »

Elle n'était pas loin, en effet, mais il leur fallut cependant un certain temps pour la trouver. Enfin Michel fit le tour d'un fourré d'ajoncs et poussa un cri. Il avait devant lui une grande excavation; c'était là sûrement que les Barthe venaient prendre le sable fin qu'ils vendaient très cher.

« Voilà! cria-t-il. Venez-voir! Cristi! On a certainement enlevé des tonnes de sable ici. »

Les autres le rejoignirent. L'excavation, en effet, était immense. Ils posèrent leurs havresacs et sautèrent au fond. Leurs pieds s'enfoncèrent dans le sable.

« Les parois sont pleines de trous, dit Mick. Je parie que des oiseaux y font leurs nids.

— Il y a même des espèces de cavernes, ajouta Claude surprise. Nous pourrons nous y abriter s'il pleut.

— Oui, mais j'aurais peur que le sable ne s'éboule sur moi et ne m'ensevelisse si j'entrais là- dedans. Voyez comme il est fin », dit Annie et elle en fit tomber un peu avec sa main.

« J'ai trouvé les rails! cria François. Venez voir. Le sable les a presque recouverts. J'ai marché dessus et ils sont si rouillés que l'un d'eux s'est cassé sous mes pieds. »

Tous coururent vers lui y compris Dagobert qui était au comble de la joie. Tous ces trous lui promettaient des lapins en abondance.

«  Où vont ces rails? » dit François.

Ils déblayèrent le sable et suivirent la voie; elle s'arrêtait à quelque distance de la carrière pour reprendre un peu plus loin; mais à environ dix mètres de là, les rails avaient été arrachés, mis en morceaux et jetés dans la bruyère; on apercevait çà et là des débris rouillés.

« C'est sans doute l'œuvre des gitans, remarqua Michel. Quand ils se sont battus avec les Barthe. Regardez ce monticule recouvert d'ajoncs. »

Ils s'approchèrent. Dagobert, qui ne savait ce que cachait ce tas de sable et de pierres, grogna. Avec un morceau de rail, François fourragea les ajoncs.

« Ça alors! » s'écria-t-il, saisi de stupeur.

Tous restèrent ébahis.

« C'est la locomotive, la petite locomotive dont le vieux Baudry nous a parlé, dit Michel. Elle a déraillé à l'endroit où les rails étaient arrachés et les ajoncs peu à peu l'ont cachée. Pauvre vieille locomotive ! »

 

Il écarta un peu plus les buissons.

« Elle ne date pas d'hier, dit-il. Quelle drôle de cheminée! Et cette petite chaudière! Et ce tender! Elle ne devait pas aller très vite. Il me semble que je l'entends teuf-teufer.

— Que sont devenus les wagons? demanda Annie.

— C'était facile de les remettre sur les rails et de les pousser jusqu'au village, dit Michel. Mais pour soulever la locomotive, il aurait fallu une grue. Des hommes, même nombreux, n'en auraient pas eu la force.

— Les gitans ont probablement attaqué les Barthe dans le brouillard, après avoir démoli la voie pour que la locomotive déraille, dit François. Les fragments de rails leur ont peut-être servi d'armes. Ils ont gagné la bataille puisque les Barthe n'ont pas reparu.

— Les gens qui se sont mis à leur recherche ont sans doute, après, poussé les wagons jusqu'au village, dit Claude qui essayait de reconstituer cette aventure ancienne. Mais ils ont été obligés de laisser la locomotive.

— Quelle surprise pour les Barthe quand ils ont vu les gitans sortir du brouillard comme des fantômes! dit François.

— J'espère que je n'aurai pas de cauchemars cette nuit », s'écria Annie.

Ils retournèrent à la carrière.

« Nous ne serions pas mal là pour camper, remarqua Mick. Le sable est très sec et très doux. Nous dormirions bien dessus. Nous n'aurions pas besoin de tentes; les parois de la carrière nous abriteraient du vent.

— Oh! oui, installons-nous ici, s'écria Annie. Et ces trous nous serviraient d'armoires et de garde- manger.

— Et l'eau? demanda Claude. Il nous en faut dans les parages, n'est-ce pas? Dagobert, va chercher de l'eau. A boire, Dago, à boire! Tu as soif, n'est-ce pas? Ta langue pend jusqu'à terre.»

Dagobert pencha la tête de côté. De l'eau? Boire? Il connaissait très bien le sens de ces mots. Il fila, le nez contre le sol. Claude le suivit des yeux. Il disparut derrière un buisson et revint dix minutes plus tard. Claude poussa un cri.

« Il a trouvé de l'eau! Regardez, son museau est tout mouillé. Dagobert, où est-ce? »

Dagobert agita vigoureusement la queue, heureux de l'approbation de Claude. Il fit le tour du buisson et les autres le suivirent. Dans une prairie en miniature, une source chantait sa chanson argentine.

Les eaux, irisées par le soleil, tombaient dans un petit canal creusé dans le sable, puis disparaissaient sous les bruyères.

«  Merci, Dago, dit Claude. François, tu crois que cette eau est potable?

— Certainement, dit François. Les Barthe ont placé un tuyau. Regardez! Ils ont capté une autre source beaucoup plus abondante. L'eau est claire comme du cristal. Nous ne pouvions pas souhaiter mieux.

— Quelle chance! dit Annie. C'est à deux pas de la carrière et j'avais une soif! »

Ils burent dans le creux de leurs mains. Quelle eau fraîche et pure! Ces petites sources jaillissaient un peu partout dans la lande et arrosaient ses plantes d'un vert éclatant.

« Asseyons-nous et goûtons, dit Annie en ouvrant le havresac qu'elle portait. Tout au moins si vous en avez envie; il fait trop chaud pour avoir faim.

— Parle pour toi, Annie », dit Michel.

Ils s'assirent dans la carrière ensoleillée, sur le sable chaud.

«  Nous sommes dans un vrai désert, déclara Annie avec satisfaction. A des heures de tout être humain. »

Mais elle se trompait Des yeux curieux les observaient.